Aux sources de la pensée de Léonard de Vinci : les carnets de l’Institut

Cette exposition a été présentée à la Bibliothèque de l’Institut de France, du 25 mars au 5 juillet 2019.

 

1. Léonard de Vinci : repères biographiques

2. Un accès à la connaissance de Léonard de Vinci

3. Les carnets de l’Institut

4. L'histoire des carnets de l’Institut

5. A la découverte des carnets

6. Crédits

 

1. Léonard de Vinci : repères biographiques

Léonard naquit à Vinci, près de Florence, en 1452. Il passa ses années de jeunesse à Florence où il rejoignit sans doute son père, le notaire Piero da Vinci, dont il était le fils illégitime, vers 1462. Il entra vers 1464 dans l’atelier d’Andrea del Verrocchio (1435-1488), où il resta au moins jusqu’en 1476. Il assista Verrochio pour la construction de la boule dorée qui surmonte l’immense coupole de la cathédrale de Florence réalisée par Brunelleschi.

En 1482, Léonard se mit au service de Ludovic Sforza, dit le More, qui gouvernait le duché de Milan comme tuteur de son jeune neveu avant de prendre lui-même le titre ducal en 1494. La date de 1494 marque aussi le début des guerres d’Italie menées par les rois de France Charles VIII puis Louis XII. Léonard resta à Milan jusqu’à l’arrivée des troupes françaises en 1499.

Durant ces années, Léonard peignit notamment La Cène qui orne le réfectoire du couvent de Santa Maria delle Grazie et multiplia les activités d’ingénierie militaire comme civile. Il entreprit aussi un monument équestre du duc Francesco Sforza, commandé par Ludovic, pour lequel il s’inspira des modèles antiques. La statue ne fut jamais fondue en bronze et son moule en terre, de dimensions impressionnantes (7,20 m), fut détruite par les Français.

Léonard se rendit ensuite à Venise, en passant par Mantoue, avant de revenir à Florence en 1500.

En 1502, il se mit au service de César Borgia, le fils du pape Alexandre VI, qui s’était taillé une principauté en Italie centrale par la conquête des terres pontificales de Romagne et des Marches. Léonard porta alors le titre d’« architecte et ingénieur général ».

Revenu à Florence depuis 1503, il regagna Milan en 1506, au service du gouverneur français Charles d’Amboise et de Louis XII. Puis il s’installa en 1513 à Rome, où il travailla pour Julien de Médicis, frère du pape Léon X.

C’est en 1516 qu’il vint en France, à l’invitation de François 1er, séduit par sa réputation d’artiste et de philosophe. Il apportait avec lui certaines de ses oeuvres ainsi que ses manuscrits. Il fut logé au manoir du Cloux (aujourd’hui le Clos Lucé) à Amboise, où il mourut le 2 mai 1519.

2. Un accès à la connaissance de Léonard de Vinci

S’il n’a laissé que peu d’oeuvres achevées, Léonard a rempli des milliers de pages de dessins et d’écrits autographes. Il n’en tira aucune publication bien qu’il ait eu vraisemblablement l’intention d’ordonner au moins une partie de ses notes dans ce but. Par son testament rédigé le 23 avril 1519, il les transmit à son disciple et ami, Francesco Melzi (ca 1491 - 1568/1570).

Melzi transcrivit des extraits de ces documents pour compiler un « Libro di pittura di Messer Lionardo da Vinci », en annotant les passages utilisés par le signe Ø.

Son manuscrit, conservé à la Bibliothèque Vaticane (Codex Vaticanus Urbinas latinus 1270), fut publié par Guglielmo Manzi en 1817. Jusqu’alors, ce texte était connu dans une version abrégée, éditée pour la première fois par Raphaël Trichet Du Fresne (1611-1661), à Paris, chez Jacques Langlois, en 1651, avec des illustrations de Nicolas Poussin.

Après la mort de Melzi, les manuscrits de Léonard furent peu à peu dispersés, passant entre les mains de plusieurs collectionneurs, dont le sculpteur Pompeo Leoni (1531-1608), furent parfois altérés et recomposés, et pour certains furent perdus.

Un ensemble d’environ 4100 feuilles, dont on estime qu’il représente à peu près la moitié de la production de Léonard, est parvenu jusqu’à nous, sous la forme de très nombreuses pièces isolées ainsi que de trois grands recueils factices :

  • Codex Atlanticus (Milan, Biblioteca Ambrosiana)
  • Disegni di Leonardo da Vinci restaurati da Pompeo Leoni (Windsor Castle, The Royal Collection)
  • Codex Arundel 263 (Londres, British Library)

et vingt codices (pluriel de codex, qui désigne un manuscrit relié en forme de livre) constitués à l’origine par Léonard lui-même :

  • Codex Trivulzianus (Milan, Castello Sforzesco, Biblioteca Trivulziana)
  • Codex sur le vol des oiseaux (Turin, Biblioteca Reale)
  • Codex Madrid 8936 et Madrid 8937 (Madrid, Biblioteca Nacional)
  • Codex Forster I, Codex Forster II et Codex Forster III (Londres, Victoria and Albert Museum, National Library of Design)
  • Codex Leicester (Seattle, Collection Bill et Melinda Gates) (le seul en mains privées)
  • Manuscrits A, B, C, D, E, F, G, H, I, K, L, M (Paris, Bibliothèque de l’Institut de France)

La plupart de ces carnets avaient rejoint, au cours du XVIIe siècle, la Bibliothèque Ambrosienne de Milan, fondée en 1609 par le cardinal Federico Borromeo. Parmi les carnets de l’Institut, neuf avaient précédemment fait partie de la collection du comte Galeazzo Arconati (ca 1580 - 1649), amateur d’art et mécène, qui les offrit à l’Ambrosienne en 1637 ; deux autres carnets avaient été donnés par leurs précédents possesseurs (le carnet C au cardinal Borromeo en 1603 par Guido Mazenta ; le carnet K par Orazio Archinti en 1674) ; les circonstances de l’entrée à l’Ambrosienne du carnet D nous sont inconnues.

Les carnets, que Léonard gardait toujours avec lui, témoignent d’une vive curiosité pour des domaines multiples, du souhait de l’artiste de représenter précisément ce qu’il voit et de la volonté du savant d’accéder à une compréhension du monde. Ils sont révélateurs du lien entre l’observation active et l’imagination créatrice de Léonard, qui veut proposer des solutions techniques innovantes, tout en s’inspirant de ses contemporains et de ses prédécesseurs depuis l’Antiquité.

L’ensemble des carnets de Léonard a fait l’objet dans les années 1980 d’une reproduction intégrale sous forme de fac-similés d’une grande qualité, accompagnée de leur transcription critique par Augusto Marinoni et d’introductions thématiques (Florence, Giunti Barbèra, 1987-1990).

Ces fac-similés sont également consultables en ligne sur le site e-Leo : http://www.leonardodigitale.com

3. Les carnets de l’Institut

Les carnets de l’Institut, de format et de contenu variés, mêlent étroitement le dessin - outil de compréhension du monde pour Léonard - et l’écrit, qui progressivement, autour des années 1510, se développe et s’organise en textes plus longs et plus construits, destinés sans doute à servir à l’élaboration de véritables traités.

La lecture en est difficile, notamment en raison de la fameuse écriture « spéculaire » de Léonard, une écriture inversée, qui se lit à l’aide d’un miroir. Celle-ci est simplement, sans doute, l’écriture la plus naturelle et aisée pour un gaucher. Par ailleurs, Léonard employait un ancien dialecte toscan et recourait à de nombreuses abréviations.

La chronologie suivie pour la présentation des carnets, fondée sur différents travaux critiques, demeure indicative car la datation des carnets est très complexe. Sans prétendre à l’exhaustivité, cette présentation permettra de découvrir les principaux centres d’intérêt de Léonard de Vinci.

4. L’histoire des carnets de l’Institut

Lors de la Campagne d’Italie menée par le général Bonaparte à la tête de l’armée de la jeune République française, celui-ci imposa à la Lombardie un tribut de guerre et la confiscation d'oeuvres scientifiques et artistiques majeures, choisies par un groupe de savants et artistes dont le mathématicien Gaspard Monge.

Une « Notice des objets de sciences, d’arts et de curiosité arrivés d’Italie », parue dans La Gazette nationale ou le Moniteur universel du 8 frimaire an V (28 novembre 1796), énumère les institutions parisiennes auxquelles sont destinées les diverses caisses de biens : parmi elles, la Bibliothèque nationale, qui reçut des éditions anciennes et des manuscrits, dont le Codex Atlanticus, et l’Institut national, auquel furent destinés entre autres « douze petits manuscrits de Léonard de Vinci, sur les sciences ».

La Gazette nationale ou Le Moniteur universel, An V, n° 68, p. 270

La Gazette nationale ou Le Moniteur universel, An V, n° 68, p. 270 

L’Institut national avait été créé peu de temps auparavant, le 25 octobre 1795, par la Convention, lors de son avant-dernière séance, afin de faire progresser, ensemble, les sciences et les arts. Les plus grands savants français de l’époque étaient devenus les premiers membres de ce « Parlement des savants ».

Si, après le XVIe siècle, Léonard de Vinci avait été considéré avant tout comme un artiste, l’on redécouvrait en ce début du XIXe siècle les aspects scientifiques de sa pensée, avant que le XXe siècle ne le consacre comme l’homme de tous les savoirs. La pluridisciplinarité qui caractérise l’Institut fait écho aux multiples facettes de la personnalité et du génie créateur de cet « homme universel » selon l’idéal de la Renaissance.

Dès 1797, le mathématicien et physicien Giambattista Venturi (1746-1822), professeur à Modène puis établi à Paris, réalisa la première étude, encore sommaire, des carnets : Essai sur les ouvrages physico-mathématiques de Léonard de Vinci avec des fragments de ses manuscrits apportés d’Italie.

« Le Directoire exécutif a remis à l’Institut national la plupart des manuscrits originaux de Léonard de Vinci qui sont venus d’Italie. Les écrits d’un homme qui, à la renaissance des lettres, a été l’un des premiers à s’élancer dans la carrière des sciences exactes en Europe, ne devaient être confiés qu’à une assemblée de savants du premier ordre, qui en peuvent apprécier le mérite mieux que personne, et qui, loin de cacher leurs trésors, s’empressent d’en faire part à ceux qui désirent y puiser. »

Les lettres de A à M, qui servent encore aujourd’hui à désigner les carnets, leur ont été attribuées par Venturi (le Codex Atlanticus portant la lettre N).

Après la chute de l’Empire, la restitution des biens artistiques spoliés fut décidée lors du Congrès de Vienne en 1815 : le Codex Atlanticus regagna Milan, les « petits manuscrits », sans doute purement et simplement oubliés, restèrent à l'Institut.

Dans les années 1840, ces carnets furent victimes de déprédations dues au comte italien Guglielmo Libri (1803-1869), auteur de nombreux vols de manuscrits et d’imprimés précieux dans les bibliothèques françaises, qui préleva plusieurs cahiers des manuscrits A, B et E. Libri, enfui à Londres, vendit au bibliophile et collectionneur Lord Ashburnham (1797-1878) une partie de sa collection, où se trouvaient deux recueils factices, composés l’un de 34 feuillets provenant du carnet A, l’autre de 10 feuillets et 5 feuilles volantes provenant du carnet B.

L’étude des carnets, que ce soit sous l’angle artistique ou scientifique, commença véritablement à la fin du XIXe siècle, lorsque Charles Ravaisson-Mollien en donna en 1881 une édition intégrale sous la forme d’une reproduction photographique accompagnée d’une transcription et d’une traduction en français.

La Bibliothèque nationale parvint en 1888 à racheter le fonds Libri de la collection Ashburnham. D’abord cotés à la Bibliothèque nationale « Manuscrit italien 2037-2038 », les deux recueils factices furent rendus à l’Institut de France en 1891, et constituent aujourd’hui des suppléments aux carnets A et B.

Un autre cahier volé dans le carnet B par Libri est aujourd’hui conservé à la Bibliothèque royale de Turin et connu sous le nom de Codex sur le vol des oiseaux.

Dans les années 1960, un amateur passionné, André Corbeau (1898-1971), soucieux de faire connaître les écrits léonardiens, entreprit, en se fondant sur la transcription critique établie par Nando De Toni, membre de la Commissione Nazionale Vinciana de Rome, de donner une nouvelle traduction française, plus accessible, de nos carnets ; il ne put l’achever que pour trois volumes (carnets C, D et A), qui furent tous trois couronnés par des prix de l’Académie française.

Les manuscrits de l’Institut représentent donc aujourd’hui 14 volumes, portant - suivant l’ordre du lettrage Venturi - les cotes 2172 à 2183 (et 2184-2185 pour les suppléments « Libri ») au sein de la collection de manuscrits de la Bibliothèque de l’Institut de France.

D’une valeur inestimable, ils sont conservés dans une chambre-forte à la Banque de France.

La Bibliothèque de l'Institut a confié leur numérisation à l'Agence photographique de la Réunion des musées nationaux en 2019. L'intégralité des carnets est désormais consultable en ligne sur Minerv@, bibliothèque numérique de la Bibliothèque de l'Institut. 

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5. A la découverte des carnets

Visitez la suite de l'exposition via le menu ci-contre, carnet par carnet dans l'ordre chronologique estimé de leur rédaction.

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6. Crédits

Exposition réalisée par la Bibliothèque de l’Institut de France.

Commissariat : Françoise Bérard, directrice, avec le précieux concours de Yoann Brault, ingénieur d’études.

Remerciements à :

Élodie Delcambre-Maillard, Aurélia Salahou et Agnès Rico pour la mise en forme graphique,

Ghislaine Vanier pour le montage de l’exposition,

Olivier Thomas pour ses conseils avisés,

et toute l’équipe de la Bibliothèque de l’Institut de France, ainsi qu’à Louis Frank, conservateur en chef au département des arts graphiques du musée du Louvre, pour sa synthèse sur la généalogie des carnets de Léonard de Vinci.

Clichés : Agence photographique de la Réunion des musées nationaux - Grand Palais.